Une tragédie italienne

Publié le par François Delapierre


Un désastre. La gauche italienne a été écrasée par Berlusconi. A l'heure de notre bouclage, les résultats quasi définitifs donnés par le ministère de l'intérieur sont hélas sans appel. Au Sénat comme à la Chambre des députés, la coalition de droite obtient 47 % des voix contre 38 % à celle du Parti Démocrate. Une avance de 10 points ! Dès lors la droite obtient la majorité absolue dans les deux chambres, ce dont beaucoup doutaient à la veille du vote. Berlusconi, premier chef de gouvernement italien à avoir fait un mandat entier, est placé pour cinq ans à la tête du pays. Avec la xénophobe Ligue du Nord qui double son score au sein de la coalition majoritaire.


Pourtant, c'est peu dire que le premier gouvernement Berlusconi a mobilisé contre lui les profondeurs de la société italienne. Pendant cinq années, ses principaux choix ont été contestés : intervention en Irak, reculs du droit du travail, concentration des médias, mise au pas de la justice… Sur chacun de ces sujets, Berlusconi a vu se dresser face à lui des millions de manifestants, des grèves massives, de très nombreux intellectuels et artistes. Un mouvement finalement impuissant à empêcher son retour, faute d'une gauche capable de proposer une stratégie et un projet victorieux.

Car il faut bien dire l'écrasante responsabilité de la gauche italienne dans cette déroute. On a trop salué de ce côté-ci des Alpes ce "formidable laboratoire politique" pour ne pas tirer les leçons des expériences lamentables qui s'y sont succédées.

D'abord le ralliement de la gauche au démocrate-chrétien Romano Prodi. Après l'enthousiasme des "primaires" si souvent données en exemple, son gouvernement a suscité une lourde déconvenue. L'éditorialiste du Monde le dit à sa manière : "Le gouvernement de centre-gauche mené par Romano Prodi n'a pas démérité. S'il est désavoué par les électeurs, c'est au contraire parce qu'il a su engager des réformes courageuses que l'équipe précédente, justement présidée par M. Berlusconi, avait négligées."

Au-delà des réformes libérales impulsées par Prodi, la gauche paie aussi l'échec d'une formule politique, la "Fabbricca". Celle-ci a accouché d'un attelage sans vrai programme commun. Les primaires ont produit une personnalisation à outrance. Prodi a pensé gérer les contradictions de fond par la distribution de maroquins (100 ministres !). Mais les sujets fondamentaux, comme la réforme des retraites ou la question du maintien des troupes en Afghanistan, sont venus ébranler la cohésion de la majorité. L'alliance au centre s'est révélée un désastre : c'est le retrait de la composante centriste qui a fait chuter Prodi au bout d'à peine un an et demi de gouvernement. La fameuse coalition "arc en ciel", ce grand parti qui va du centre aux trotskistes, où tout le monde gouverne en même temps sur des lignes différentes, a prouvé son inefficacité.

Après la chute de Prodi, le parti social-démocrate, majoritaire dans la coalition, a choisi de poursuivre dans cette voie. Il a fusionné avec le parti chrétien de Prodi pour donner naissance au Parti Démocrate. Investi par de nouvelles primaires, ayant mobilisé officiellement 3,5 millions de citoyens, son leader Veltroni a refusé toute reconstitution d'un parti "traditionnel". Fini les courants, les adhérents, les instances collectives et autres formules prétendument dépassées. Fini même le lien avec la gauche. Le Parti Démocrate a ainsi refusé d'adhérer à l'Internationale Socialiste. Dixit Veltroni : "Nous sommes réformistes, non de gauche.". Seul modèle revendiqué : le parti démocrate américain.

Pendant la campagne, Veltroni a précisé que le PD se situait "à équidistance des travailleurs et des entreprises". Son programme est allé très à droite : baisse des impôts, libéralisation accrue de l'économie, soutien au bradage d'Alitalia… Quant à sa stratégie d'alliance, elle a tenu dans le refus de tout rapprochement avec la gauche radicale, accusée d'avoir affaibli Prodi alors même que c'est le parti centriste qui a fait chuter son gouvernement. Privée à la fois d'alliance électorale, décisive en raison du mode de scrutin italien, et de perspective gouvernementale, la gauche radicale s'est contentée de faire campagne sur le thème "la gauche doit continuer à exister en Italie". Cet appel à la biodiversité politique n'a pas été entendu : l'autre gauche n'atteint pas les seuils de 4 % des voix au Sénat et 8 % à la Chambre des Députés nécessaires pour avoir des élus. La LCR italienne est à 0,5 %. L'appel au vote utile a fonctionné à plein : le Parti Démocrate a siphonné les voix de la gauche radicale. Mais incapable de créer la moindre dynamique en sa faveur, il n'a pas fait davantage que ce qu'avait obtenu ses propres composantes à la dernière élection. Sans les voix de l'autre gauche, la gauche tout entière est minoritaire.

Ségolène Royal ne s'est pas cachée de chercher son inspiration dans la gauche italienne. Au lendemain de la présidentielle, elle avait rencontré Veltroni pour évoquer la création d'un groupe d'une "vingtaine de personnalités" attachées à "moderniser la politique" afin de "construire de nouveaux points de référence idéologiques pour la gauche européenne". Qu'en est-il aujourd'hui ? Souhaitons que ce débat ait lieu. Car sinon la tragédie italienne pourrait devenir française.

par François Delapierre

Publié dans Editoriaux

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