LA REFORME DES INSTITUTIONS

Publié le par Allain Graux

LA REFORME DES INSTITUTIONS

 

Les Français sont des champions en matière de constitution : ils en ont usé douze entre 1791 et 1875 et deux autres depuis la troisième république (mis à part l’épisode de l’Etat français de Pétain). Si la V°, adoptée par référendum régit notre destin national depuis cinquante ans, elle a cependant été modifiée à vingt-trois reprises depuis le 4 octobre 1958.

La Constitution est le fondement du pacte républicain car elle organise l’exercice du pouvoir que les citoyens délèguent à leurs représentants par leurs votes. Pour la réformer on peut utiliser le référendum ou le vote du parlement réuni en Congrès.

Toute modification importante, les choix politiques de société, devraient être soumis au référendum. Ce fût le cas pour l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 et le quinquennat en 2000.

Le vote par les parlementaires réunis en Congrès est logique pour des dispositions techniques : transcription de directives européennes dans le droit français par exemple.

Des réformes importantes comme :

-          la saisine du Conseil Constitutionnel par l’opposition, (sous Giscard d’Estaing) ;

-          la charte de l’environnement, la responsabilité pénale du président, l’interdiction de la peine de mort (sous Chirac) ;

ont été adoptées par le parlement réuni en Congrès.

 

L’objectif de la réforme Sarkozy est-il important ?  : il s’agit de conduire une réforme en profondeur pour accentuer la présidentialisation du régime, inaugurée par Chirac et Jospin avec le quinquennat et surtout la primauté de l’élection présidentielle sur les élections législatives. En effet, en France ce n’est pas l’exécutif qui dépend du législatif, c’est l’inverse ! Situation unique au monde qui doit donner des cauchemars post-mortem à Montesquieu : c’est le parlement qui doit son élection au président. L’élection des députés représentants de la nation, n’est plus qu’une formalité. Le débat démocratique tourne autour du choix d’un homme ou d’une femme auquel des citoyens éduqués abandonnent pour cinq ans les destinées d’un pays développé. Ce système est en fait une monarchie élective.

Fondé pour concrétiser les orientations du pouvoir, le comité Balladur a établi un rapport de 77 propositions dont la mise en œuvre conduirait à modifier ou créer 41 articles sur les 97 que comptent la Constitution. Ce qui n’est pas rien ! François Fillon n’a retenu que 33 articles dont 28 modifications. Si ce texte devait être adopté, il ne resterait que 31 articles sur les 92 de la Constitution d’origine. En fait, la version du gouvernement à vidé de leur substance les projets les plus démocratiques du comité Balladur. Par exemple, elle est truffée de renvois (sans doute une inspiration du Traité de Lisbonne…), à 7 lois organiques, 4 lois ordinaires et 4 modifications du règlement de l’Assemblée nationale, dont les modalités sont ignorées. Ainsi les parlementaires vont voter sur un texte dont ils ne connaissent pas toutes les dispositions, soit un vote en blanc !!!

 

La logique eut été de renforcer les pouvoirs du parlement. C’est ce que prétend le gouvernement.
Qu’en est-il en réalité ?

Le rapport suggère que :

-          c’est le Président « qui définit, détermine la politique de la nation », le premier ministre se contentant de la conduire.

-          l’élément le plus pernicieux réside dans la capacité donnée au chef de l’Etat de se présenter devant les parlementaires, sans que cela donne lieu à un débat et un vote. Cela semble anodin. Cette disposition est cependant contraire au parlementarisme car elle remet en cause l’équilibre des pouvoirs exécutifs et législatifs puisque le Président dispose du droit de dissoudre l’Assemblée Nationale. Et ce droit qui n’existe pas dans le système présidentiel américain n’est pas remis en cause. Ce qui nous ramène à un régime identique à la Russie où les deux pouvoirs, législatifs et exécutifs n’expriment pas deux légitimités distinctes et complémentaires. Il est vain alors d’attendre un rôle quelconque de contre-pouvoir de députés qui se font élire sous la bannière du président qu’ils sont censés contrôler. Leurs nouvelles prérogatives, pour soi-disant rééquilibrer les pouvoirs, ne leur donnent en fait aucune légitimité ni réelle envie de le faire.

 

Pour contrebalancer les pouvoirs déjà exorbitants du Président, il serait nécessaire :

-          d’interdire tout cumul des mandats et les limiter à deux mandats consécutifs dans la même fonction, en particulier entre celle de parlementaire et toute responsabilité locale. Un député est l’élu de la nation, du peuple tout entier et non de son territoire ; il doit développer la recherche de l’intérêt général et non la sauvegarde d’intérêts particuliers ou de clocher.

C’est le sénateur qui représente le territoire ; mais du fait du mode de scrutin (un collège d’élus locaux), la droite est assurée de conserver la majorité des sièges à la chambre haute.

C’est pourquoi deux autres réformes devraient s’imposer :

-          l’élection des députés au scrutin proportionnel (avec éventuellement une disposition majoritaire comme pour les municipales ou les régionales). Cela permettrait la représentation démocratique de toutes les opinions.

-          la suppression du Sénat, anachronisme politique unique en son genre, ou son remplacement par une Assemblée citoyenne représentant les associations, les syndicats qui pourraient soumettre des projets de lois à l’Assemblée Nationale. Il aurait un rôle de contrôle pour l’exercice du droit à l’initiative législative citoyenne, la possibilité pour un certain nombre de citoyens ou des élus locaux, de proposer une loi.

Hélas, hélas, hélas, le non-cumul des mandats et l’introduction d’une dose de proportionnelle ont été retirés du projet Balladur…

En matière constitutionnelle, le sénat à un pouvoir de veto. Pour voter le texte du gouvernement les sénateurs de l’UMP ont affiché leur prix : rendre intouchable un mode d’élection, qui assure une majorité à la droite et leur réélection au Palais du Luxembourg. La droite sénatoriale veut même éviter une modeste loi qui multiplierait le nombre des délégués des conseils municipaux en fonction du nombre d’habitants de la commune.

 

Les droits des citoyens seraient élargis par :

-          la possibilité d’organiser des référendums d’initiative populaire. Fort bien ! Mais il est nécessaire de recueillir l’accord d’1/5 ° des parlementaires et de 10 % des citoyens, soit 4,5 millions d’électeurs. Le temps de les réunir et de vérifier les signatures, une législature se sera écoulée. Et si par miracle on y arrive, il faut que le projet soit déclaré recevable par la majorité du parlement…qui doit donner sa réponse dans le délai d’un an. Mission impossible !!! C’est de l’esbroufe.

-          L’instaurateur du défenseur des libertés : il existe déjà un médiateur.

-          Le droit de saisine du conseil constitutionnel. Ce projet est renvoyé à une loi organique qui n’existe pas encore …

le fameux article 49.3 qui permet au gouvernement de faire un passer à l’Assemblée nationale un texte sans voter. Les députés peuvent déposer une motion de censure, mais pour qu’elle soit adoptée, il faut qu’une partie des élus de la majorité se joignent à l’opposition. Ce ne s’est produit qu’une fois en 50 ans…La proposition de restreindre cette disposition est limitée aux sujets des lois de finances, à la sécurité sociale et un texte par session. Or, en réalité,  cela n’arrive qu’une fois par an …Et les sénateurs y sont opposés…

Les nominations présidentielles : un veto législatif permettrait de s’opposer à la volonté du président, mais les conditions autorisant sa mise en oeuvre sont hors de portés de la minorité parlementaire pour contrecarrer une nomination au conseil constitutionnel : il faudrait convaincre 11 sénateurs et 27 députés de la majorité actuelle, membres des deux commissions des lois…Encore une disposition inopérable !

 

Le tricotage ( ou tripotage ?) des circonscriptions électorales.

Actuellement le gouvernement étudie le redécoupage des circonscriptions. Ce qui était certes rendu nécessaire par l évolution démographique. Mais pourquoi prévoir de porter à 12 les députés représentant les Français de l’étranger dont on sait qu’ils votent majoritairement à droite, sans augmenter le nombre total de députés. Et donc en supprimant certains sièges dans des départements de gauche, la droite s’assure avant tout scrutin, un matelas d’une trentaine de circonscriptions…

L’article 25 ainsi rédigé :  « Pour assurer le respect de l’égalité du suffrage, la loi organique fixe les conditions dans lesquelles une commission indépendante, dont elle détermine la composition, rend un avis public sur les projets de loi tendant, pour une durée de dix ans, à délimiter les circonscriptions dans lesquelles sont élus les députés ou les sénateurs et à répartir les sièges entre ces dernières »

permettra de fixer la majorité présidentielle pour les 10 ans à venir. !!!

 

Quelques dispositions apporteraient un progrès démocratique sur la situation existante, comme :

-                      l’information du parlement sur les opérations militaires.

-                      des dispositions sur la cour des comptes, pour évaluer les politiques publiques, l’augmentation du nombre des commissions (de 6 à 8), le droit de résolution sur tous les sujets, la fin de la présidence du Conseil Supérieur de la magistrature par le Président,

-                      La limitation à deux mandats présidentiels consécutifs.

-                      La fixation de la taille du Gouvernement qui apparaît plus comme un gadget que comme un progrès démocratique. Mais pourquoi pas ?

-                      L’interdiction du droit de grâce à titre collectif..

-                      L’encadrement de l’article 16 (pouvoirs exceptionnels) ; il est vrai qu’avec l’extension de ses pouvoirs le chef de l’Etat n’a plus besoin de pouvoirs exceptionnels…

-                      et diverses aménagements de la procédure réglementaire du parlement.

 

Le projet Balladur, bien qu’insuffisant, comportait un certain équilibre en comparaison des propositions Fillion-Sarkozy. Elles apparaissent comme bancales dans leur mauvaise imitation de certaines dispositions empruntées à la république étatsusienne, mais comportent une véritable cohérence quant à leurs objectifs :

-                      renforcer le pouvoir présidentiel ;

-                s’orienter vers le bipartisme en niant l’expression représentative d’une large partie de l’opinion et des parlementaires

 

Il est possible de faire échouer ce coup de force, comme il était possible de faire échouer le vote du traité de Lisbonne, si tous les parlementaires de Gauche s’opposent à ce projet liberticide, en votant Non au parlement réuni en Congrès en plein mois de juillet, en période de vacances…, car pour modifier la Constitution il est nécessaire de réunir la majorité des 3/5°.

 

Une VI° République, sociale et démocratique.

 

Le parlement doit retrouver sa légitimité et son rôle de souverain. Tous les pouvoirs ne doivent pas être confiés à un seul. L’équilibre et la séparation des pouvoirs doivent-être respectés, la diversité des opinions, équitablement représentée à l’Assemblée nationale.

Les citoyens doivent pouvoir participer aux choix décisifs de notre société : les traités internationaux - comme celui de l’Europe-, la guerre, l’eau, l’énergie nucléaire, les services publics de la santé, de l’éducation, des transports publics, les OGM, les médias publics, le droit de vote des résidents étrangers…

Les citoyens doivent le rester en franchissant la porte des entreprises et non devenir des sujets livrés aux puissances d’argent. La représentation syndicale exprimée et garantie par le vote des salariés.

« Cette démarche implique une refondation républicaine de la démocratie. L'intérêt général doit s'imposer par l'intervention d'une société mobilisée et de citoyens motivés. Ce choix de société s'oppose au modèle de la « démocratie » libérale ne reconnaissant que l'arbitrage entre intérêts particuliers. Il s'oppose aussi aux nationalismes et aux communautarismes qui nient l’existence même d’un intérêt général. »

Revenons à Condorcet et au fondement de notre République ; avec l’Egalité sociale, Condorcet défend une idée complète et moderne de la République.

« L’esprit actuel de la nation française est l’amour de l’égalité et l’indépendance personnelle, la haine de toute autorité qui présente la moindre apparence d’arbitraire et de perpétuité, le désir de toutes les institutions nouvelles pour favoriser les classes les plus pauvres et les plus nombreuses, et celui de fraterniser avec les hommes de tous les pays qui aiment la liberté, ou qui veulent la recouvrer.»

 

En France, le processus constituant doit solder le déni démocratique de la Ve République. face à la personnalisation outrancière du pouvoir, la VIe République doit rendre au peuple sa souveraineté.

« Mais la souveraineté du peuple ne doit pas s’exprimer lors de l’élection des représentants pour s’éclipser  ensuite quand ils gouvernent. La refondation républicaine du pays suppose que l’intervention populaire se poursuive et se conjugue avec le gouvernement, grâce à de nouveaux processus permettant d’associer la population à la définition du bien commun. Pour que les citoyens soient partie prenante de la définition des objectifs prioritaires de la Nation, le  travail législatif doit être préparé et accompagné par la présentation publique et la discussion argumentée des principales lois dans des ateliers civiques, dont le cadre d’organisation pourrait être les circonscriptions électorales. )

« Le projet républicain appelle nécessairement la REPUBLIQUE SOCIALE. Elle peut et doit servir de socle à la formulation d’un grand projet alternatif global qui recouvre la nature et le fonctionnement des institutions, un ordre public social, le renouveau des Services publics, le développement de l’Etat-protecteur, d’une véritable propriété sociale, la construction d’une nouvelle synthèse entre l’identité nationale et l’internationalisme. »

(Le manifeste de PRS)

 

Allain GRAUX

le 22 juin 2008

Publié dans Editoriaux

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article