Bourses mondiales : un été chaud

Publié le par François Delapierre

Bourses mondiales : un été chaud


Lundi dernier, le gouvernement américain a annoncé un plan de sauvetage des deux principales sociétés américaines de refinancement immobilier. Il était temps. Fannie Mae et Freddie Mac ont chuté de plus de 85 % en Bourse depuis le début de la crise des subprimes. Ces derniers jours la glissade est devenue chute libre car des doutes sérieux sont apparus sur leur capacité à faire face aux défauts de paiement qui touchent de nombreux ménages. Or ces deux sociétés détiennent plus de 40% du crédit immobilier américain, ce qui représente 5 300 milliards de dollars de créances, plus d’un tiers du PIB américain. Leur effondrement aurait donc un impact gigantesque.


repêchées ces derniers mois par la puissance publique états-unienne. Le fait radicalement nouveau est que Fannie Mae et Freddie Mac sont des sociétés quasi-publiques. Ces « Government-Sponsored Entities » ont un statut privé mais elles bénéficient de fait du soutien et de la garantie de l’Etat. Elles ont d’ailleurs été créées par lui. C’est Roosevelt qui constitue Fannie Mae en 1938 pour racheter les prêts consentis aux ménages américains et éviter une défaillance général du crédit immobilier dans le sillage de la crise de 1929.

La première conséquence est politique. Fannie Mae et Freddie Mac ont été mises en place et soutenues par l’Etat car elles jouent un rôle clé dans la légitimation du système. Ce sont les outils censés conduire à la « Nation de propriétaires », représentation officielle des Etats-Unis par elles-mêmes. Elles sont aux Etats-Unis ce que l’école publique est à la France, unélément de l’identité nationale. Sur le site internet de Fannie Mae, on lit ceci : « Notre business, c’est le Rêve américain. Parce qu’avoir un endroit sûr que l’on peut appeler son chez-soi renforce les familles, les communautés et notre nation comme un tout. » C’est le mythe fondateur selon lequel, pour peu qu’il se donne du mal, chaque américain peut accéder à l’intégration sociale par la propriété, devenant dès lors un citoyen à part entière et un chef de famille protégeant les siens des aléas de la vie (le logement constituant aussi une assurance contre le chômage ou la maladie). La crise de telles institutions prend donc une dimension immédiatement politique.

La seconde conséquence de ces défaillances est à la fois économique et politique. Si les titres de Fannie Mae et Freddie Mac ont dévissé malgré l’existence d’un soutien public, c’est que les investisseurs en sont venus à douter que le gouvernement américain continuerait à les cautionner. Non pas qu’ils croient que l’Etat américain lui-même soit en faillite : la panique aurait pris dans ce cas des proportions bien plus considérables. Ils croient plutôt que l’Etat américain risque d’être obligé, pour s’en sortir le mieux possible, d’accepter une sorte de faillite partielle, circonscrite à certains secteurs et établissements. Leur inquiétude s’appuie sur des indices très sérieux. Les dispositifs existants d’intervention publique sont sur le point d’atteindre leurs limites. La politique de soutien à la liquidité des marchés menée par la Réserve fédérale a un effet pervers très coûteux en termes d’inflation. Pour la première fois la Fed hésite à la poursuivre. Autre indication, la faillite vendredi dernier de la banque IndyMac. C’est la plus grosse faillite bancaire de l’histoire américaine depuis 24 ans. Elle devrait officiellement coûter à l’office public de soutien aux banques 15% de ses réserves. Autrement dit, chacun sait dorénavant qu’un tel rythme de succession de faillites est désormais insoutenable. Si elles se poursuivent, si Fannie Mae et Freddie Mac entrent en turbulence à leur tour avec leurs milliards de dollars, et si l’Etat voulait une fois de plus voler à leur secours, il lui faudrait des ressources nouvelles. Il serait alors obligé, vu les déficits budgétaire et commercial records, à augmenter nettement les impôts. Or le gouvernement américain actuel s’y refuse. L’opposition démocrate cède à la pensée unique en la matière. Barack Obama et Hillary Clinton ont rivalisé de modération fiscale lors de leur débat télévisé d’avril dernier. Clinton a promis de « ne pas augmenter un seul impôt touchant les Américains des classes moyennes dont le revenu annuel est inférieur à 250 000 dollars ». Obama s’est également engagé à ne pas revenir sur les baisses d’impôts des contribuables qui gagnent moins de 200 000 dollars par an. Or il faut savoir que seuls 7 % des ménages américains disposent d’un revenu annuel supérieur à 150 000 dollars…

Les investisseurs ont donc raison de penser que l’Etat américain ne peut plus continuer comme aujourd’hui à soutenir le secteur bancaire en faillite tout en accumulant les déficits et en réduisant les impôts. Le modèle à la fois économique et politique sur lequel s’est construite la première économie du monde ces dernières années, et du coup l’ordre mondial dans son ensemble, est condamné. On comprend que cela rende nerveux la planète financière.

Par François Delapierre

Publié dans Editoriaux

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article